Nucléaire-énergies renouvelables : mensonges et promesses

Au cours de la folle semaine de débats autour du nucléaire sur fond de négociations PS-Eélv, Henri Proglio, PDG d’EDF s’est exprimé de façon, pour le moins, orientée, défendant comme il est de tradition à la tête d’EDF, ce type d’énergie avec des arguments contestables. La commission énergie a fait le point sur la question.

I. Pertes d’emploi par abandon du nucléaire?

Henri Proglio annonce 1 million d’emplois perdus, en mélangeant plusieurs choses (emplois nucléaires directs, indirects et induits, emplois industriels, hypothétiques emplois futurs pour le développement à l’étranger).
En France, en réalité, 125.000 personnes sont employées directement dans la filière nucléaire, avec seulement une petite partie spécialisée exclusivement sur le nucléaire.

Les difficultés de reconversion des employés du nucléaire sont réduites pour deux raisons concrètes :
– d’une part, la pyramide des âges de l’emploi de la filière (EdF, Areva, principalement) fait état d’un départ à la retraite massif d’ici 2020 (+de 40%).
– d’autre part, ces emplois sont essentiellement des cadres, facilement reconvertibles dans des secteurs annexes comme les énergies renouvelables et la maîtrise de l’énergie

Il ne s’agit d’ailleurs en aucun cas de « tuer » la filière nucléaire dès maintenant. Même en cas de sortie, celle-ci aura encore pour longtemps besoin de nombreux emplois qualifiés, que ce soit pour l’exploitation et la maintenance ou encore pour le développement d’un pôle d’excellence en matière de gestion des déchets et démantèlement des réacteurs.

Pour ce qui est des 100.000 emplois qui proviendraient du futur développement du nucléaire à l’étranger, le chiffre est grossièrement exagéré et mensonger.
1- Dans le meilleur des cas (et c’est loin d’être gagné, vu le peu de pays qui s’intéressent à l’EPR), c’est la conception qui aura en partie lieu en France, la construction et l’exploitation se fait évidemment sur place. Ce seront au maximum quelques centaines d’ingénieurs qui se consacreront à la conception pour une période déterminé en France. A l’échelle internationale, on est pourtant loin d’une « renaissance du nucléaire »;
2- D’autant plus que les marchés les plus prometteurs (Chine, Inde, Russie) font tout pour maitriser eux-mêmes la filière industrielle, laissant peu de place aux industriels français.

II. Une conversion aux énergies renouvelables, productrice … d’emplois.

Le cas de l’Allemagne permet d’affirmer que la teneur en emplois du nucléaire est largement inférieure à celle des énergies renouvelables. Ces dernières représentent aujourd’hui une part de production très proche de ce qu’était le nucléaire avant 2011 (un peu plus de 20%).

Or, il y avait 40.000 emplois directs dans le nucléaire en Allemagne; le secteur des énergies renouvelables compte aujourd’hui 370.000, avec un fort développement pour l’export également. Convertir la production d’énergie en abandonnant le nucléaire au profit des énergies renouvelables devrait donc non seulement compenser les pertes mais permettre de nombreuses embauches.

L’argument de la baisse de compétitivité en cas de sortie du nucléaire ne tient pas : en Allemagne, le prix de l’électricité est plus élevé et pourtant le tissu industriel allemand est bien plus solide que l’industrie française… et l’outil industriel allemand est également plus moderne, plus électrifié mais de manière plus performante et plus économe. Les chiffres ne trompent pas, là encore : d’après la base de donnée STAN de l’OCDE, il existait au total 1,5 fois plus d’emplois industriels en Allemagne qu’en France en 2007 (dernières données). Mais surtout, ce ratio est plus élevé dans tous les secteurs électro-intensifs : 2,1 fois plus d’emplois dans le papier, 3,7 dans la chimie hors pharmacie, 2,5 dans l’acier, 3,9 dans les métaux non ferreux…

 Ainsi, pour EELV, ce ne pourrait être une électricité moins chère qui sauverait la compétitivité de l’industrie française dans un environnement hautement concurrentiel. Il faut au contraire miser sur l’innovation dans les process et sur l’efficacité énergétique de la production. Comme pour les ménages, miser sur les économies d’énergie est la seule voie d’avenir : les gisements d’économies sont connus et ils sont rentables. De plus, les énergies renouvelables ainsi que la maîtrise de l’énergie constituent de formidables opportunités pour l’industrie française, aussi bien pour son marché intérieur qu’à l’export (l’Allemagne exporte déjà aujourd’hui 70% de sa production éolienne), à condition de ne pas rater le départ.

III. Le « coût » des scénarios électriques : les centrales nucléaires

Nota : Ici on ne parle qu’électricité, alors que la transition énergétique concerne l’ensemble des énergies. Isoler l’électricité est un biais : de toute façon il faudra isoler les bâtiments et faire des économies.

1. Flamanville et l’EPR.

Coût actuel estimé : 6 Md€ aujourd’hui. On ne connaît pas le détail : cela intègre-t-il les frais financiers supplémentaires ? Ceux-ci peuvent être très importants. De l’ordre de 3 Md€ déjà dépensés, mais on ne connait pas non plus le détail ; il resterait 3 Md€ à dépenser.

Faut-il engager la suite ? Avant toute mise en service, il faudra que l’ASN donne autorisation de sureté. En France, l’autorisation vient après le chantier, pas avant. Sauf à préjuger de la décision de l’ASN, il y a un risque non négligeable que les investissements à venir (3Md€) le soient en pure perte.

Coût de production de l’électricité : s’il n’y a pas de surcoût supplémentaire (frais financier, R&D, malfaçons etc.), on peut estimer que le coût de production sera de l’ordre de 75 à 80€/MWh. L’éolien produit actuellement à environ 80€/MWh. Conclusion : l’EPR produira une électricité qui ne sera pas plus compétitive que les énergies renouvelables. Pour comparaison : actuellement le coût de production nucléaire est évalué à environ 45€/MWh.

Ces coûts n’incluent pas bien sûr : démantèlement, déchets, assurance en cas d’accident/attentat, coût de la prolifération nucléaire, R&D publique etc.

2. Prolonger l’existant

La mise à niveau Fukushima est estimée à environ 1 Milliard d’euros par réacteurs, soit environ 60 Md€ à investir.
La prolongation des centrales : Proglio parle de 60 ans en France. Il faut déjà acter les 40 ans. Il n’y a pas de retour d’expérience en la matière, contrairement à ce qu’affirme Henri Proglio.

III. Le « coût » des alternatives électriques

1. Investissements :
Le PDG d’EDF dit que les « investissements nécessaires sont de « 400 milliards€ » pour sortir du nucléaire. Ce chiffre repose sur l’étude de l’Union Française de l’Electricité (article des Echos, 14 novembre 2011 : étude « Electricité 2030, quels choix pour la France ? »).
Cette même étude dit que, pour rester dans le nucléaire, il faudrait investir 300 Md€; ce qu’omet de dire Henri Proglio.
Donc : sur la base de l’étude de l’UFE, la différence entre rester et sortir, c’est 100 Md€, soit quatre fois moins que ce qu’il prétend.

Mais surtout : cette étude de l’UFE est très contestable. Notamment les hypothèses sur l’efficacité énergétique sont d’un extrême pessimisme. Ce qui est normal pour une étude commandée par les électriciens.

Une autre étude similaire, faite par l’expert Benjamin Dessus (rapport « Charpin, Dessus, Pelat »), arrive à la conclusion que rester ou sortir du nucléaire aboutit au même ordre de grandeur en termes d’investissements (autour de 500 Md€ en 2030). La sortie du nucléaire (Energie Renouvelable + efficacité énergétique) impliquerait même des investissements 10 à 15% plus faibles (50 à 100 Md€ de moins).

2. Coût pour les ménages
Henri Proglio annonce que sortir du nucléaire impliquerait une augmentation de 50% du prix de l’électricité, par rapport à la sortie. Toujours d’après l’étude UFE, la différence est en réalité de 43%. Mais surtout, il fait une comparaison relative : par rapport à aujourd’hui, l’augmentation sera de 33% en cas de maintien du nucléaire, 65% en cas de sortie.

Donc : il faut prévoir une augmentation du prix unitaire de l’électricité quel que soit le scénario. Il faut agir sur la facture réelle des ménages : pour cela il faut faire des économies d’énergie, ce que les électriciens n’envisagent pas.

Dans l’étude de Benjamin Dessus, le coût de la production augmente également dans les deux cas de figure (conséquence des investissements nécessaires ; augmentation de l’ordre de 50 à 80% par rapport à aujourd’hui), avec un prix au kWh 20% plus important en cas de sortie qu’en cas de maintien du nucléaire.
MAIS : la facture est le produit du coût de production * volume de consommation. Grâce aux économies d’énergie, malgré un coût unitaire de production plus élevé, la facture finale d’un ménage serait 20% plus faible en cas de sortie du nucléaire.

3. Le coût écologique : gaz à effet de serre
La sortie du nucléaire de l’Allemagne (ou de la France) va-t-elle conduire à une augmentation des émissions de gaz à effet de serre ?

Très clairement non ! Le secteur de l’électricité est sous contrainte des « permis d’émission » européens (quotas carbone). Quel que soit le choix de production électrique, le nombre de quotas européen est fixe et diminue avec le temps, de manière mécanique. Il est donc certain que les émissions de l’industrie, dont l’électricité, vont diminuer quoi qu’il arrive : les objectifs climatiques ne sont pas remis en question.

4. Le coût politique : l’indépendance énergétique

Henri Proglio affirme qu’on est indépendant énergétiquement, ce qui est évidemment faux.

Concernant le système électrique, la France est très dépendante des importations en période de « pic de consommation » du fait du chauffage électrique (lui-même développé pour écouler le surplus de production nucléaire). En ces périodes, elle doit importer énormément de l’électricité qui coûte cher (elle exporte de l’électricité de faible valeur ajoutée). En France, le mode de production n’est pas du tout adapté aux besoins de consommation.

La facture des importations énergétiques françaises s’élèvera en 2011 à environ 70 milliards d’euros, soit autant que le déficit commercial. Le nucléaire n’a en rien aidé à réduire la dépendance au pétrole de la France (1.06 TEP/habitant et par an en France, contre 1.01 en Allemagne, 0.99 au Royaume-Uni ou 0.92 en Italie). Seule l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables sont une solution.

 Sur bien des points, nous sommes dans la prospective, et les chiffrages peuvent varier. Ce qui est sûr, c’est que les exagérations d’Henri Proglio sont nombreuses et trahissent une inquiétude au nom d’intérêts qu’il faut confronter à une autre grande inquiétude, née de Three Miles Island, Tchernobyl ou Fukushima. Les incidents dans les centrales françaises existent aussi, comme nous l’a rappelé récemment celui de Marcoule. Ce risque-là est incalculable. Vouloir l’éviter – à tout prix! – mérite sans doute un prix de l’électricité un peu plus élevé par d’autres choix de source en la matière, comme en Allemagne où on ne s’éclaire tout de même pas à la bougie. Cela mérite aussi que l’on fasse tout simplement attention à notre consommation : la facture pourrait ainsi ne pas être plus chère et nous permettrait d’être pleinement responsable de nos choix énergétiques.

SK (à partir du travail de la commission énergie Eélv)