Le jeudi 19 novembre était prévu un meeting politique autour des propositions d’Europe écologie-les Verts pour les élections Régionales. Les attentats du vendredi 13 novembre ont bouleversé les esprits mais aussi les calendriers et les préoccupations qu’ils reflètent. Nous avons souhaité maintenir la réunion mais en transformer l’objet, pour pouvoir échanger sur ces évènements tragiques. En voici un compte-rendu.
Nous étions une trentaine pour mettre des mots sur ce qui s’est passé vendredi 13 novembre, et depuis. Si nous aurions souhaité un plus large partage, l’objectif que nous avions a été atteint puisqu’il est allé jusqu’à libérer des paroles qui n’avaient pas l’intention de s’exprimer. Toutes les expressions ont été dignes, attentives, constructives, et nous nous devons de remercier chacune des personnes présentes en cette douloureuse occasion, offerte en hommage aux victimes.
Bénédicte Monville-de Cecco a ouvert la soirée en évoquant son expérience d’enseignante, confrontée à la mort qui a frappé autour d’elle dans ce cadre-là – la jeunesse a été particulièrement touchée par cette mort aveugle – et au questionnement de ses élèves dont l’attente n’avait pas, à ce jour, été comblée.
Elle a tenté de répondre sur les causes, du plus loin au plus proche – nous disons volontiers du global au local -, des (dés-)équilibres mondiaux actuels traduits par la géo-politique, les conflits au Proche et au Moyen-Orient, le changement d’orientation de la politique française depuis une vingtaine d’années dans le conflit israélo-palestinien, d’une attention partagée au soutien quasi-exclusif à Israël, jusqu’aux politiques menées de ghettoïsation des communautés et de libéralisation capitaliste entraînant l’abandon de territoires entiers par le service public, y compris éducatif, touchant les banlieues et ses populations, affectant l’estime de soi, provoquant la désafiliation.
Elle a souligné combien les réponses apportées depuis vendredi ne portaient que sur un aspect essentiellement sécuritaire et qu’elles ne cherchaient en rien à remédier, ou même simplement à réfléchir, malgré les voies qui s’élèvent sur les sources de financement de Daech et leurs relations avec les puissances occidentales dont la France, sur ce qui avait amené ces jeunes personnes à une forme de suicide semant le désastre. L’état d’urgence prolongé, si peu contesté (6 votes contre), ne peut que mettre une chape de plomb sur le débat et les recherches de solution adaptées à un problème, au final, occulté; et en ouvrant une brèche dans la construction de notre démocratie autour de la laïcité, va dans le sens voulu par la terreur répandue.
Sylvain Kerspern a voulu partir de deux émotions, la peur et la colère, comme moteur d’une recherche de cet ordre, particulièrement axées sur les causes collectives, que le politique peut traiter. Le texte se trouve ici, ce qui dispense d’en dire plus, sinon que la philosophie générale tourne autour d’une réorientation de la politique vers une participation citoyenne restituée, capable de restaurer l’utilité publique de chacun-e d’entre nous, et, face au défi actuel, non pas de répondre sur le même ton mais, au contraire, d’affirmer plus que jamais les valeurs tolérantes, bienveillantes, généreuses, de notre démocratie, et plus généralement, à l’égard d’une humanité solidaire, quoique certains de ses membres puissent en penser.
Jean-Marc Pasquet était présent sur les lieux, attendant devant le Bataclan. Devant les mouvements de panique et dans sa fuite, il a finalement parcouru les différents points du drame, avec le sentiment de la bête traquée. Il en a parlé sobrement mais avec la force d’un témoignage direct, terrible.
Il a ensuite surtout insisté sur l’aspect social de la question, faisant des personnes politiques, plus que jamais, des travailleurs sociaux. Il a partagé son parcours personnel, de son origine ouvrière jusqu’à son « embourgeoisement » – ainsi l’explique-t-il -, et de l’impact que cela peut avoir aujourd’hui dans les relations qu’il a, en tant qu’élu et acteur social, avec les populations qui servent de ferment à la menace terroriste. De son point de vue, il faut briser précisément ce clivage qui s’incarne dans une sorte de jeu de rôle – le bourgeois blanc face aux jeunes des banlieues, d’origines diverses.
Ensuite s’est ouvert le partage avec la salle. Les interventions ont notamment émané de personnes de confession musulmanes qui ont toutes rappelées que l’islam n’avait rien à voir avec les motivations de ce drame et qu’elle était au contraire une religion de tolérance et d’ouverture aux autres dans la construction de soi. L’impact de la géo-stratégie – réelle ou fantasmée, tant la connaissance de la réalité des lieux et des faits semble relative et obviée – a été débattu mais l’ensemble des diagnostics posés jusque là a fait l’objet d’un large consensus. Les préoccupations se sont notamment focalisées sur l’évolution, en une trentaine d’années, de la situation des banlieues et sur l’importance de l’éducation.
Un constat : il y a une trentaine d’années, la mixité sociale dans les cités était telle qu’elle permettait la tolérance et le partage. Aujourd’hui, plus que jamais, les départs sont à peu près systématiquement compensés par l’arrivée de personnes plus pauvres encore. Ces quartiers constituent des communautés, certes, mais essentiellement de difficultés plus que de confessions ou d’origines.
Un élu de Seine-Saint-Denis, sans étiquette et porteur d’une approche citoyenne de la politique, a souligné les mécanismes actuels d’une telle situation, que l’Anru ne contrarie pas forcément : certaines mairies riches, de droite, remodelant leur paysage urbain, envoie les populations les moins favorisées vers des communes comme la sienne, dont la ressource fiscale dépend désormais étroitement des dotations du logement social; alors même que leur attribution ne dépend de la ville qu’à hauteur de 20%, le reste étant assumé par l’Etat et les bailleurs sociaux. Au passage, c’est quelque chose que l’on a pu constater pour Melun (anciens monterelais se retrouvant à l’Almont après la chute des barres de Surville).
Lorsqu’on sait le désengagement de l’Etat poursuivi depuis des années, et certes pas ralenti dans les dernières, pour les dotations aux collectivités territoriales, on s’aperçoit que ces communes sont les otages d’une politique de la ville encourageant la ghettoïsation. De fait, tout le monde s’est accordé à dire que ces cités devaient être détruites, et qu’il fallait renouer avec une véritable mixité sociale. Sur Melun encore, par exemple, la redéfinition de ce paysage par la construction d’un nouveau quartier, qui se veut écologique, dans le temps même de l’Anru, aurait pu aboutir à une redistribution de cet ordre, par une meilleures répartition du logement social. Occasion manquée.
L’évolution de la société a fait que les cadres opérant dans les années 1960-1970 ont disparus, sans être relayés efficacement par d’autres, notamment pour l’éducation. De l’indifférence des pouvoirs publics devant les difficultés rencontrées par les établissements scolaires (Fatna Lazreg a rappelé le cas du lycée Léonard de Vinci) aux situations familiales dégradées – monoparentalité, chômage, paupérisation… -, son rôle dans la construction de soi s’est étiolé. Certaines conditions se sont améliorées – les aides au devoirs, par exemple, n’existaient pas il y a trente ans – mais manifestement, ce n’est pas là que se trouve la défaillance mais plutôt dans la faillite du rôle de l’enseignement comme ascenseur social, l’absence de modèles sinon positifs du moins valorisant autres que celui du footballeur. Et même dans ce cas, la pratique du sport n’accomplit une forme d’intégration sociale qu’à condition qu’elle se traduise par une réussite trop peu partagée et financièrement excessive, autre reflet de notre société inégalitaire.
Ces différentes remarques ne doivent pas être perçues comme des excuses : plusieurs personnes se sont élevées, à juste titre, contre une telle idée. Elles sont là pour témoigner d’une recherche d’explications pour remédier par la pratique politique, au sens le plus noble qui soit, à l’évidence d’une dérive sociale aboutissant au terrorisme. A quoi ne doit pas répondre une autre dérive, totalitaire, telle qu’elle semble malheureusement se dessiner. Rose de la Fuente, confrontée au terrorisme en Espagne, notamment perpétré par l’ETA, a rappelé la leçon administrée par les populations rencontrées lors d’un voyage scolaire : à la terreur, elles répondaient par la continuité de leur existence sans rien y changer. Réaffirmation de la nécessité d’une réponse à l’attaque de la démocratie par les seuls moyens de la démocratie et par la recherche d’une consolidation, sinon d’une reconstruction, du vive-ensemble par la tolérance et la bienveillance.