Le Conseil Départemental de Seine-et-Marne a émis un 4 pages vantant sa réactivité dans l’épreuve, par des actions de solidarité, mais n’envisage guère une réflexion sur les politiques qui ont pu conduire à une aggravation du phénomène naturel. Que penser de cette communication faite, non pour réfléchir aux causes et aux solutions pour y remédier, mais à la gloire des responsables qui l’ont commanditée ? D’autant que les conséquences de ces situations dramatiques sont loin d’être closes. N’aurait-on pu mieux placer cet argent ?
L’éditorial de Jean-Jacques Barbaux précise simplement que « la nature nous a fait brutalement réaliser le caractère indispensable des travaux d’entretien et d’aménagement sur les cours d’eau et ruisseaux ». Qu’est-ce- que cela signifie ? Non qu’il faille revenir à une meilleure prise en compte du cycle de l’eau pour éviter tout ce qui peut l’accélérer, mais au contraire prétendre contrôler toujours plus les éléments naturels.
Ainsi, la nouvelle majorité départementale, en relançant le projet de canal Grand gabarit pour ses « vertus » économiques (faire passer des péniches de 2500 T pour le plus grand profit des grands céréaliers et des vendeurs de gravier de Seine et Marne et de Champagne), pense se garantir des critiques que nous formulons en prétendant qu’il serait un moyen de réguler les eaux de la Seine quand c’est exactement le contraire qui arrivera. L’argument est très classique : plus de technique, plus d’infrastructures, c’est la seule solution pour dompter la nature. C’est un argument très dangereux que nous devons démonter inlassablement.
Les fondements de l’écologie reposent sur un tout autre postulat : la prise en compte des phénomènes naturels non pour les dompter mais pour les accompagner au bénéfice mutuel de l’humanité et de son environnement. Il ne s’agit plus d’apprivoiser, domestiquer, mais de rechercher la symbiose, ou à tout le moins un équilibre dans les échanges. L’exemple de l’eau est sans doute le plus emblématique en la matière, car elle est source de vie, donc de l’existence et de la subsistance humaine.
Tout géographe doit apprendre son cycle, et toute personne le devrait aussi pour en faire le meilleur usage possible. On comprendrait ainsi mieux l’impact :
– de l’artificialisation des terres – par les routes, l’étalement urbain ou industriel, les déboisements… -, dont elle réduit la perméabilité en transformant horizontalement l’impact vertical des pluies,
– de l’usage des pesticides, qui demande un retraitement de l’eau puisque les pluies entrainent vers les nappes phréatiques ou les cours d’eau voisins ces substances nocives (sans parler des pollutions industrielles),
– du développement de l’agriculture intensive sur de grandes surfaces, supprimant les haies susceptibles de régler la circulation horizontale et verticale de l’eau,
– du souci de canaliser les cours d’eau, limitant les échanges avec la rive et accélérant leur débit par des dessins plus réguliers, entre autres.
Prenons le cas de Melun.
Comment comprendre qu’il y a une trentaine d’années, on ait bétonné un partie du cours de l’Almont ? Il faudrait en reprendre l’historique, et les raisons qui ont conduit à cette décision (peut-être sécuriser des rives instables?) mais il est aujourd’hui évident, à qui veut prendre en compte le cycle de l’eau, que c’était la pire des solutions, interdisant les échanges avec la terre environnante, notamment la capacité d’absorption de l’eau des rives, accélérant le cours d’eau, donc sa montée en cas de pluies abondantes en butant sur les freins naturels subsistants ou artificiels (comme les arches des ponts).
D’autres facteurs ont sans doute modifié, et aggravé le processus, depuis la tristement célèbre crue de 1910. Ainsi les quartiers de l’Almont et des Mézereaux, en vis-à-vis de part et d’autre du cours d’eau, ont été urbanisés dans les années 1965-1980, réduisant donc l’action spongieuse des coteaux, instaurant des toboggans pour le ruissellement. Il faut pareillement s’interroger sur l’aménagement du Mail Gaillardon dans les années qui ont suivi, avec l’implantation de commerces dans une zone que tout vieux Melunais savait inondable.
Ces quelques remarques permettent de comprendre que les abords de la rivière aient été dramatiquement touchés tôt, bien avant que la Seine n’atteigne son pic de crue. Elles mettent en cause des décisions politiques malheureuses, dont on peut supposer qu’elles ne prenaient pas en compte tous les tenants et les aboutissants du cycle de l’eau. Encore peut-on s’interroger sur ce qui fonde les « risques d’inondation » selon l’Institut d’Aménagement et d’Urbanisme à lire la carte qu’il a produite à ce sujet : aucun risque, apparemment, en amont d’Evry, pour la Seine et ses affluents, notamment le Loing ou l’Yonne. Elle est le symptôme d’une approche de l’aménagement du territoire, urbain, industriel, agricole, qu’il faut radicalement réviser.
Aujourd’hui, les préoccupations écologiques et le réchauffement climatique ont attiré l’attention sur le phénomène du cycle de l’eau. Ils ne permettent plus d’agir aussi inconsidérément que par le passé et imposent de réviser notre mode de vie, pour que la solidarité soit un facteur de co-construction du bien-vivre ensemble, et non plus seulement ce à quoi se résume le 4 pages du Conseil Départemental : une politique de réparation du désastre.